Le 16 avril, aura lieu à Athènes la signature du Traité d'adhésion à l'Union Européenne des dix nouveaux pays entrant. La capitale grecque recevra tous les leaders européens ainsi que Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU. Le mouvement pacifiste international s'y est donné rendez-vous pour une manifestation contre ces pays de l'UE (les nouveaux entrants en première file dans la liste de l'administration des USA) qui ont soutenu la guerre préventive de Bush et de Blair.

Cette Europe de 2004, je dois avouer que je l'ai déjà un peu sur l'estomac, ... avant qu'elle ne naisse.
Parmi tous ces pays (Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie), qui ont frappé aux portes de l'Union Européenne pendant des années, qui ont obtenu des aides et des concessions en tous genres, les pays de l'Est n'ont pas hésité un instant à sauter en bloc dans les bras des Etats-Unis aux premiers signes belliqueux de Bush. Et je préfère ne pas m'étendre sur l'opportunisme encore plus adroit(?) de la Pologne, qui après avoir utilisé le pape Jean-Paul II pour se débarrasser du joug soviétique, l'a totalement ignoré (malgré tous ses appels en polonais) quand celui-ci a pris fermement position contre la guerre. Il faut dire que ça paie, puisque aujourd'hui elle fait partie de la liste dressée par Bush, des quatre pays qui auront le droit de reconstruire l'Iraq, bien qu'elle n’y ait envoyé que 182 hommes.

On me dira que même l'Europe des 15 s'est divisée dans cette triste affaire, mais je me veux optimiste car elle a désormais trop de choses en commun (ne serait-ce que l'Euro et la dernière mais première grève commune des transports qui a eu lieu en févier dernier), pour se déchirer définitivement. Si elle retrouve une cohésion, cette guerre en Iraq aura au moins eu le mérite de lui faire découvrir ses faiblesses, comme, par exemple, l'absence d'une politique internationale commune. Ce qui démontre que rien n'est jamais acquis et qu'une institution vieille de 50 ans, dynamique par de nombreux aspects, est aussi fragile qu'un nouveau-né.

L'année dernière, quand un débat très animé est né suite à la déclaration de Valéry Giscard d'Estaing pour un refus de la Turquie et que le Parlement européen est entré en effervescence, je m'étais déjà posée la question de savoir si cet élargissement de l'Union européenne à 25 n'était pas prématurée. J'étais tout à fait d'accord pour aider les 10 candidats à décoller sur le plan économique, mais il me semblait qu'il était nécessaire d'attendre un peu plus pour une intégration à égalité. Il y a une maturité politique, une indépendance d'esprit qui ne s'acquiert pas en dix ans – et ici, je me réfère à la chute du mur de Berlin -, et l'Allemagne en sait quelque chose.
En fait, si l'un après l'autre, ces pays continuent à approuver à une forte majorité leur entrée dans l'Union Européenne (le dernier en date étant la Hongrie qui l'a fait ce samedi avec 83 % de "oui"), il est clair que leur soutien "en bloc" aux Etats-Unis a démontré qu'ils n'avaient encore aucune autonomie de jugement, et que pour eux, se libérer du joug soviétique signifiait embrasser la cause adverse, c'est-à-dire celle des Etats-Unis. En quelque sorte, ils ont sauté à pieds joints du Pacte de Varsovie à l'Otan, comme s'il leur était impossible de vivre sans tutelle.

Il y a dix ans, ces pays morts de faim ou presque n'avaient peut-etre pas le choix de leur camp, mais en janvier dernier ils l'avaient. Et je crains que cet élargissement prématuré à 25 ne finisse par diviser et rendre définitivement ingouvernable cette Union Européenne à laquelle chacun de nous, en son for intérieur (et là j'insiste, "en son for intérieur"), tient déjà beaucoup pour des tas de petits détails, comme l'abattement des frontières par exemple, ou les échanges commerciaux, culturels et éducatifs, l'Euro, et tout bêtement, pour l'dée d'humanité qu'elle suggère malgré tous ses défauts, et ceci quelle que soit notre appartenance politique et notre degré d'appréciation des Etats-Unis, comme si l'accusation de Ramsfeld envers la « vieille » Europe avait au contraire donné naissance à la prise de conscience de l'existence de bases communes.

Faut-il donc que je m'associe à Pat Cox, président du Parlement européen, que je fasse contre mauvaise fortune bon cœur et que je déclare que «Le moment de l'élargissement est venu», comme l'écrit Le Figaro d'aujourd'hui ?